Yi Jing" : la seule chose qui ne change pas, c’est le changement.
"Mais il allait à toute vitesse n’ayant pas le temps de réfléchir à quoi aboutirait le mouvement ". Guerre et Paix, Tolstoï.
Dans un contexte de persuasive computing (conjonction entre l’IA, la mondialisation et une augmentation de la réglementation), le monde du travail est depuis longtemps en profonde mutation (numérique, fonctionnelle, temporelle, spatiale..) et requière de nouveaux modèles de travail. L’entreprise a en effet connu en 30 ans une évolution exponentielle avec comme mise en exergue l’échec de ses modèles traditionnels de fonctionnement et de pilotage. Certains déclarent en effet que le contexte de digitalisation actuel serait le degré le plus abouti du changement étant basé sur les technologies et centrée sur l’Humain. D’autres que la digitalisation ne fait qu’accélérer la mutation du travail...
Pourquoi parle t-on de "choc digital", de "lame de fond" où semble se mélanger le vrai et le faux. Cet environnement qualifié de VUCA (volatility, uncertaintly, complexity and ambiguity) est une des clefs de lecture permettant à chaque organisation de s'interroger sur sa proposition de valeur. Alors que tout se standardise, s’automatise, s’uniformise, certains y opposent l’artisanat et la singularité. Rien de nouveau, des auteurs anciens témoignaient déjà de cette tendance face au progrès technologique...
Selon l’école de pensée du constructivisme social, la technologie est à la fois source et conséquence de transformation sociale : l’innovation technologique échappant à une construction linéaire serait donc fabriquée socialement. Sortir de tout déterminisme s'avère nécessaire pour éviter d' errer entre anthropo-augmentisme ou dystopie. L'auteur Philippe Bihoux déclare que la technologie permet des transformations mais ne les engendre pas, "seuls les choix et décisions des entreprises préparent le terrain de la disruption". L’auteur Louis Hyman illustre également bien ce propos « it is not technology disruptif our jobs ». Uber ne provoquerait pas le morcellement du travail mais exploiterait un terreau fertile. Mais de quoi parle t on exactement ? Quel est justement ce terreau fertile?
Le chercheur François Pinchault évoque quant à lui le "phénomène de bascule" où la technologie, qui est une solution, devient alors le problème. Face à cette complexité technique décrite par Philippe Bihoux due à une saturation et une densité d'information, la solution repose sur une recherche de simplification pour soutenir cette transformation sociale plus que technologique. En cette période de transition, à l'ère des méga-plateformes et des métadonnées, la notion d'inter-relation et notre rapport même à l'information sont pleinement questionnés. Quel design socio-organisationnel pour accompagner cette mutation de nos modèles d'affaires vers la captation de valeur?
Une revisite du contrat social semble incontournable.
Selon le philosophe François Jullien, la transformation semblant "échapper à la pensée européenne", nous semblerions y gagner à regarder du côté de l’Empire du Levant pour travailler notre posture face au changement. Nos sociétés semblent encore très empruntes du "principe de causalité ", de recherche de "finalité " laissés par Platon, formatant nos esprits à "saisir la chose part la cause". Contrairement à la pensée chinoise qui pense "l’indistinct", l’Europe pense l’écart, "le distinct ", ce qui peut expliquer pourquoi le changement est dans nos civilisations associé à la notion de rupture. La pensée chinoise quant à elle, décrit le processus de transformation comme "silencieux"*. Pour François Jullien "saisir la chose par son implication" dans un écosystème global et donc plus par la cause, permettrait d’accueillir l’évolution comme tendance naturelle, identique au phénomène naturel de recherche d’équilibre par l’Homme (homéostasie). Par une autre façon d’être au monde, les chinois semblent avoir un tout autre rapport à l’action et au temps, une tolérance à l’incertitude, laissant évoluer les circonstances. Cette "incitation à la déprise", "sans imposer l’effet mais en le laissant s’imposer" permettrait à "l’indéterminé " de laisser passer "le flow ", "la vitalité du monde". Loin de cette résignation décrite par l'auteur Daniel Pauly avec le concept de Shifting Baseline Syndrome illustrant le fait que l’Humain semble s’accommoder naturellement de toute situation dans laquelle il évolue, nos sociétés et organisations occidentales n’auraient elles pas de quoi s’inspirer ? En écho à certains principes de l’effectuation et en contexte de changement permanent rendant difficile l'exercice de projection à 1 ou 3 ans, il est grand temps de dédier notre action à l’accompagnement de ces transitions, processus naturels en misant sur les capabilités, la puissance du collectif et en évitant de forcer le passage à l’état B de façon rigide et ultra-planifiée. Si nos modèles de travail sont en mutation, nos méthodes d'accompagnement du changement doivent aussi être repensées en veillant surtout à les ré-internaliser, les remettre à l'intérieur du système.
Je partage donc avec vous une recette en 12 étapes...
1. Accueillir le changement sans affronter la rupture
2. Observer et décrire la situation de l’intérieur
3. Identifier la nature de la disruption
4. Travailler les croyances, représentations, idées reçues
5. Penser et co-définir le changement
6. Partir de ce qui existe
7. Identifier les facteurs favorables plutôt que les difficultés pour infléchir sur la situation
8. Restaurer le collectif en le plaçant au centre comme partie prenante d’un réseau
9. Faciliter la régulation du collectif
10. Expérimenter, créer et avancer en mode stop or go
11. Favoriser la mutation de la culture
12. S’accorder sur ce que l’on veut évaluer, et qui fait sens
Cet article est le début d'une longue série en lien avec un projet de recherche se concrétisant pas à pas. Le prochain portera sur l'application des accords toltèques et notamment du 5ème en matière d'accompagnement des transformations. En quoi les Maîtres-Bâtisseurs sont ils à nouveau une source d'inspiration?
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