
Postulat de départ : L’industrie 4.0 représenterait un changement de paradigme.
De quoi est-il question exactement ? Si tel est le cas, comment conceptualiser un changement de paradigme selon des catégories anciennes ? D’autres y verront un "paradigme d’opportunités" au sens de Vetstrate et Fyolle (2005).
« Il en est des mots qui semblent capter l’esprit d’une époque » déclarait Pascal Chabot[1]: transformation, transition, mutation, métamorphose, changement, évolution, crise...Vocables utilisés tour à tour pour parler de passage, processus dynamiques ou d’états plus « figés ». Pour Kuhn (1962), les transitions se faisant au travers de « crises «, il propose de considérer que « les passages entre les matrices paradigmatiques sont des révolutions ». Comment s’y retrouver ? De quoi relève alors le phénomène de digitalisation ? Crise, évolution ou révolution de notre paradigme (dé)passé ?
Selon l’étude de Pwc (2018), les freins principaux à la transformation numérique sont le manque de culture digitale (45%), le développement trop lent des infrastructures technologiques (39%) et un manque de vision engageant du management (36%). Et selon le baromètre Wavestone[2], c’est plutôt le management du changement qui reste « le principal obstacle[3] ». Les freins techniques représenteraient en effet moins d’1/4 des points de vigilance…
Tout comme Gilles avant lui (1978) déclarant au sujet du changement technologique "pas d’isolement possible (…) chaque époque serait caractérisée par une synergie entre les techniques «, Pichault souligne la nécessité de contextualiser le changement, pour mieux en saisir les contours et l’accompagner et distingue [4](2015) 3 grandes périodes au cours desquelles la notion même de « changement » se serait diluée au fil du temps. Comme il le recommande dans son ouvrage sur la théorie des configurations[5] , il s’agit de passer de « l’universalisme au contextualisme » par un management qualifié de «polyphonique» du changement.
Constant (1973) s’intéresse quant à lui aux « paradigmes techniques » et développe l’idée de « plusieurs registres de changement ; le changement normal, qui concerne les développements technologiques en cours versus le changement révolutionnaire qui ouvre un autre cadre paradigmatique sans références (école Palo alto) ». Les théoriciens de cette école distinguent en effet les changements de type 1[6] et de type 2 (cf article du CAIRN[7]) modifiant le système lui-même et impliquant « une transformation des règles du jeu, des processus, des modes de régulation et des organisations et provoquent de fait des interactions de nature différente (…) signant l’émergence d’un nouveau paradigme ».
Le passage à l’industrie 4.0 relève-t-il du type 2 ?
Dans le rapport Besson[8] (2016), Markus et Robey (1988) proposent une typologie identifiant « 3 grandes postures épistémologiques » permettant d’appréhender la nature de l’interaction entre TIC et organisation :
Approche déterministe : l’évolution de l’environnement impose l’adoption des technologies
Approche ingénierique : les TIC ne peuvent jouer sur l’organisation puisqu’elles en résultent
Approche émergente : la question véritable n’est pas tant celle du sens de la relation technolo- gie-structure, mais celle du rôle des utilisateurs.
[1] Chabot Pascal (2018), l’âge des transitions, PUF [2] Verrière-Guenot Patrica et De Noinville Marc, Digitalisation de l’indutrie française ; de la performance à la croissance? Baromètre industrie 4.0(étude auprès de 60 industriels), Wavestone [3] Résistance humaine, compétences, talents, management, culture et politique RH [4] Pichault François, Thierry Picq (2013), Le rôle des RH dans l’entreprise tendue vers l’innovation, Article CAIRN.INFO [5] Pichault, F. et Nizet J. (2000) Introduction à la théorie des configurations Du «one best way » à la diversité organisationnelle DeBoeck [6] Les changements de type 1 se traduisant par des adaptations dans le but de maintenir l’équilibre du système précédent (ex du lean) [7] Https://www.cairn.info/revue-realites-industrielles-2016-4-pages-51.html [8] Besson Madeleine (2016), sous la direction de), Livre blanc Entreprise du futur les enjeux de la transformations numérique, Institut Mines-telecom
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