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Hyper-compétitivité industrielle : comment engager la transformation numérique ?

Dernière mise à jour : 15 nov. 2020

En s’appuyant sur de nouvelles approches socio-techniques ?

22 juillet 2020 



La digitalisation permettrait une « société plus fluide (…) libérée du cloisonnement (…) laissant le champ libre à l’innovation et la responsabilisation ». Joël De Rosny


Selon Charles Schwab (2019), trois facteurs semblent caractériser cette (r)évolution digitale : « la rapidité « du phénomène, « son ampleur » et « son impact ». Gérard Rouquerol[1] considère la société du numérique comme constituée de trois mondes: le monde réel augmenté, le monde des intermédiaires numériques et celui de la connectivité. Et pour Frédéric Abbal[2], la disruption viendrait plutôt d’une remise en cause des frontières sectorielles où l’on observe la prééminence de celui qui fournit le service digitalisé sur celui qui fabrique le produit[3] ». Dans le secteur industriel comme ailleurs, cette « digitalisation » recouvre des réalités très diverses avec comme caractéristiques[4] : la digitalisation des procédés/outils/méthodes, de la relation client et celle des produits.D’après une étude récente de KPMG, le marché mondial des nouvelles technologies appliquées au secteur industriel, a en effet atteint plus de 200 milliards en 2019, augmentera de 60% pour atteindre 320 milliards et plus de 30 milliards d’objets connectés dans le monde, soit 3 fois plus que d’êtres humains fin 2020…

Mais de quoi est-il question exactement ? Intelligence Artificielle (machine & deep learning), Industrial Internet of Thing (IOT), Réalité Augmentée, Big data, Cloud computing, Cobotique, Impression 3D, Blockchain, Jumeau numérique…

Que recouvrent ces technologies et en quoi sont-elles un progrès ? Un progrès pour qui ?

Les industries qui sont passées à une industrie du futur ont vu leurs revenus augmenter de 10%[5] (via 48% de maintenance prédictive et 45% d’optimisation des processus de production[6]).

Cette 4ème révolution [7] que Brynjolfsson et MacAfee[8] compareront à celle du 19ème, serait caractérisée par la fusion entre internet et les usines, permettant une connexion multidimensionnelle. Et contrairement à certaines croyances[9], l’industrie numérique « ne correspond pas à une extension du champ d’application du lean manufacturing mais propose une autre manière d’organiser le temps et l’espace de production et du travail ». 

Quelles réalités se cachent derrière ces nouvelles manières de travailler ? 

Ce qui semble faire consensus et ce contrairement au débat des années 80, c’est qu’il ne s’agit plus de choisir entre l’homme et la machine (…) mais plutôt de qualifier la relation entre l’homme et la machine » (Daniel Buhr, 2017). On parle même d’une « compétitivité relationnelle* (…) fondée sur des modes d’interaction entre acteurs (et outils de gestion) économiques à l’intérieur et à l’extérieur de la chaîne de valeur ». La performance industrielle viendrait donc de plus en plus de la qualité de ses interactions, de sa capacité à anticiper les disruptions et à redéfinir son positionnement et modèle d’affaires. 

Serait-il question ici d’envisager une autre forme de performance industrielle ? Cela appellera-t-il une revisite des indicateurs[10] voire de leur mode d’élaboration?


Selon l’approche interactionnelle (Foucault, 1950), analyser les outils à partir des interactions qu’ils permettent entre « acteurs/actants considérés comme autonomes » et devant faire l’objet d’un apprentissage individuel et collectif est en effet intéressant. Akrich [11](1987) analysera d‘ailleurs la tension entre force de guidage et autonomie des objets montrant comment les machines dont les scripts prévoient « à la fois marge de manoeuvre et transgression ne sont jamais ajustées ni finies ». Et selon Alter (2010), ce qui différencie en effet une innovation d’une invention c’est bien son usage (Callon, 1986). Selon ce dernier, il est donc question de construction sociale de la technologie : « le social est un phénomène de relations et de médiations. L’usage est moins vu comme une norme qu’un arrangement ponctuel entre personnes pour réaliser leur activité et faire vivre le collectif [12]». 


Cela appelle-t-il de nouvelles compétences ? Si oui, lesquelles ?

« Les entreprises [13] font donc face à l’injonction d’évoluer vers cette industrie numérique, au foisonnement des technologies et à une incertitude exacerbée par les dernières crises qui ne cessent de redistribuer les cartes ».

Pour l’ANACT [14](2019), l’enjeu industriel est donc de gagner en compétitivité, réactivité et flexibilité. Ce n’est pas sans rappeler la théorie de Coase (1937) pour laquelle une entreprise cherche en permanence à réduire ses coûts de transaction. L’ hyper-compétitivité serait donc au prix d’une innovation digitale quadruple concernant à la fois l’offre, l’organisation, les applications informatiques et les postures[15] . Face à un consommateur ultra connecté et recherchant des produits très personnalisés, Jean-Dominique Senard[16] déclarera au sujet de la digitalisation qu’il s’agit d’un moyen pour atteindre l’excellence opérationnelle, la satisfaction client et non une finalité en soi [17]. Stephan (Daniel Buhr, 2014[18]), trois types de perspectives seraient donc envisageables:  une perspective de rupture (l’industrie 4.0 permet l’émergence de nouveaux modèles de création de valeur), une de progrès (l’industrie 4.0 résoud les problèmes actuels grâce aux technologies du futur) et celle de destruction (l’industrie n’est pas un phénomène nouveau et n’entraîne aucune démarche d’innovation). Perez-Freije et Enkel (2006) démontreront d’ailleurs que l’innovation est génératrice de multiples tensions que seules les organisations « ambidextres » de Morin (Pichault, 2013) ou « semi-structures » de Brown et Eisenhardt (1997) pourraient plus facilement absorber…Quels seraient donc ces nouveaux modèles d’organisation facilitant la créativité ? Sont-ils compatibles avec le besoin de stabilité ? Quels impacts ont-ils sur les salariés et le travail en lui-même ?


L’industrie du futur, un sujet à « controverse «[19]?


« Les imaginaires autour de l’usine du futur produisent des représentations positives pour l’Homme (diminution de la pénibilité, voire fin du travail) mais perverties par ce qui se veut être un pragmatisme ou un réalisme qui en diminue les perspectives (…) cette tension des cadres cognitifs pour penser l’usine du futur, réduit la projection de ce que pourrait être l’usine du futur et la place que l’Homme y occuperait[20] ».

Selon Laurent Manach[21] » L’homme au coeur de l’usine (serait) devenu un concept marketing ». Pour l’ANACT, la technologie masquerait d’ailleurs la réalité de l’organisation industrielle : « les machines ne compensent pas les difficultés pré-existantes mais peuvent les exacerber ». Sébastien Bruyère[22]souligne aussi deux types de positionnement mis en avant par Burawoy (2012). Un 1er positionnement optimiste (Piore & Sabel, 1984) « qui voit dans le phénomène actuel le développement d’une spécialisation flexible et une requalification du travail ». Un 2ème positionnement pessimiste (Harrison, 1994) « qui ne voit qu’une intensification du despotisme et de la polarisation «. Selon l’étude de Pwc (2018), les freins principaux sont : le manque de culture digitale (45%), le développement trop lent des infrastructures technologiques (39%) et un manque de vision engageant du management (36%). Quant au baromètre Wavestone[23], c’est plutôt le management du changement qui reste « le principal obstacle au déploiement des projets de digitalisation[24] ». Les freins techniques représenteraient en effet moins d’1/4 des points de vigilance…

Et qu’en est-il du côté des acteurs opérationnels ? 

Selon la même étude, les principales peurs des derniers seraient : le poids de la responsabilité[25], la perte de contact avec la production et de sens, l’augmentation de la charge mentale (surveillance en continu[26] et absence de temps mort) et la polarisation des métiers (Thèse de Acemoglu, 2014)[27].  Pour l’ANACT, c’est la convergence inédite entre la robotique, le numérique et la gestion des données qui est responsable des impacts sur le « facteur humain [28]». 


Comment l’Homme peut-il donc tirer profit de l’industrie numérique ?  « L’usine du futur sera-t-elle sans hommes ou au contraire créatrice d’emplois ? Et amènera-t-elle vers moins ou plus du tout de travail ? « (FING)


Pour Pichault, « les RH sont au coeur de ces tensions créatrices, les individus étant à la fois les 1ers porteurs des paradoxes et les 1ers impactés par leurs conséquences (Dhiffallah, 2008) et doivent sortir de leur quincaillerie[29]».

Il pointe en effet la difficulté des RH « se cantonnant à leurs tâches traditionnelles : recrutement, salaire, négociation, compliance et paix sociale ». Selon lui, seuls 30 à 50% des entreprises seraient dotées d’un SIRH par exemple, « préalable pour pouvoir franchir le (leur) pas vers le Big data ». Dans son étude[30] sur les entreprises innovantes, l’intérêt aujourd’hui semble se porter sur les mécanismes capables de faire le lien entre individu, équipes et organisation (Auger, 2013) pour favoriser les flux réguliers d’innovations » (Christensen, 1997). Galindo (2019) proposera d’ailleurs d’aller plus loin que le simple constat de l’importance de l’humain, dans la conduite des transformations digitales « en montrant l’importance de comprendre les difficultés à aligner les intérêts de toutes les parties prenantes engagées dans ces évolutions (Modèle de traduction et des Parties Prenantes, Callon, 1986) ». 


Quelles sont ces parties prenantes et leur traduction des projets de digitalisation ? 

« Les projets digitaux sont des opportunités de changement ». (Barley, 1986)

Si on s’intéresse à la typologie même du changement dit « technologique »,les théoriciens de l’école de Palo Alto distinguent les changements de type 1[31] et de type 2 (cf article du CAIRN[32]). Ceux de type 2 modifiant le système lui-même et impliquant « une transformation des règles du jeu, des processus, des modes de régulation et des organisations et provoquent de fait des interactions de nature différente (…) signant l’émergence d’un nouveau paradigme », la digitalisation relèverait-elle du type 2 ? Quant à son accompagnement (par la GRH), Galindo [33](2009) parlera d’un décalage entre « design, déploiement et perception »de deux natures, l’un entre la politique RH et les pratiques mises en œuvre et le second entre ces pratiques et leurs perceptions par les acteurs opérationnels. 


Quelle(s) stratégie(s) d’accompagnement de cette transformation visant une meilleure inclusion de l’Homme et une réduction de ces décalages mettre en place (cf concept de « change digital[34] » Autissier, 2013) ?

Et si la conduite de changement était plus qu’un processus, une méthode ou une stratégie et devenait un design socio-organisationnel en soi [35]?

Comme le déclare Galindo (2019) « bien que souvent présentés comme un processus incontournable, un changement stratégique ou une nouvelle forme d’innovation organisationnelle, les aspects RH de la digitalisation n’ont à ce jour fait l’objet que d’un nombre de recherches limité. Pourtant, la digitalisation revêt de nombreuses dimensions RH, notamment par les enjeux humains qu’elle soulève ».

« Il serait vertueux d’orienter (…) les programmes de recherche en sciences humaines et sociales vers les enjeux socio-économiques de la transformation numérique afin de promouvoir des approches multi disciplinaires intégrant ainsi les comportements et l’appropriation des nouvelles technologies et usages ». Rouquerol[36].

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